Quand on n’a pas réservé ses billets de train longtemps à l’avance, en Chine il est quasiment impossible de se déplacer durant les vacances du Nouvel An Chinois (à moins bien sûr d’opter pour le bus…). Moi qui pensait naïvement réserver une couchette dans un train pour Wuhan au beau milieu des vacances, j’ai donc dû prendre mon mal en patience et attendre le début du mois de mars, et la fin des vacances, pour trouver autre chose qu’un « standing ticket » (une place debout).
Plus de deux mois après mon dernier voyage dans la capitale de Hubei, je retourne donc à Wuhan pour une semaine d’entraînement de toupie chinoise. Une toupie de 4 kg dans mon sac, un bâton d’un mètre cinquante à la main, sans compter l’appareil photo, l’iPad et le Mac pour pouvoir (aussi) travailler là-bas ; je prends le train chargé comme une mule pour me retrouver vingt heures plus tard à destination. Entre nous, il faut être un peu cinglé pour faire ça mais depuis que j’ai contracté le virus du joueur de toupie chinoise, je ferais quatre mille kilomètres rien que pour assister à une compétition…
Le lendemain de mon arrivée, je quitte l’hôtel vers 6 heures et demie du matin afin d’arriver à Hankou Riverside Park avant sept heures. Les joueurs que j’ai rencontrés lors de mon précédent voyage sont tous là, à l’exception de mon coach. Il va falloir que je trouve un nouvel entraîneur. Mais rien ne presse. Je déballe ma toupie de 4 kg et sort mon bâton de son étui. Les habitués m’ont reconnu et viennent me saluer. Ils ont tous remarqué ma nouvelle toupie et attendent de voir comment je me débrouille avec. Finalement, je ne m’en sors pas trop mal ; après plus de deux mois d’entraînement quotidien, je n’ai pas pris de mauvaises habitudes. Le mouvement est bon ; il y a juste quelques petits points à améliorer mais ça je le sais déjà.
Trouver un nouveau coach
A Hankou Riverside Park comme dans les autres lieux où l’on pratique la toupie chinoise, il y a deux types de joueurs : ceux qui pratiquent de manière intensive, passent une heure ou deux à s’entraîner et remballent leur matériel, et ceux qui s’installent pour la matinée (ou l’après-midi), avec leur fauteuil pliant et leur Thermos de thé. Ceux-la sont des retraités qui n’ont pas grand-chose d’autre à faire, et entre deux coups de bâton ou de fouet, ils sont prêt à vous donner quelques conseils.
C’est ainsi que j’ai rencontré mon nouveau coach. C’est un des habitués du square et je l’avais déjà vu lors de mon précédent voyage. Il arrive vers 6 h 30 du matin, avec son caddie dans lequel sont rangés ses bâtons, fouets et toupies, et s’installe au bord de l’esplanade, dos au fleuve. La toupie qu’il déballe tous les jours fait moins de 2 kg mais comme je vais le découvrir, il est aussi à l’aise avec une toupie de 4 kg comme la mienne.
Lancer de toupie
Lors de ce premier jour à Hankou Riverside Park, il vient me voir alors que je suis en train de lancer ma toupie à l’aide du fouet comme je l’ai appris avec les joueurs de Zhanjiang ; il m’emprunte mon bâton et me montre comment on procède ici. Il enroule la toupie avec la corde qui termine le bâton, pose la toupie par terre, la cale avec son pied, prend le bâton à deux mains et d’un geste brusque propulse la toupie à quelques mètres, qui se met à tourner. Le geste est parfait mais ce n’est pour moi car à Zhanjiang la place est limitée et je risque à chaque lancer d’expédier la toupie en dehors de la scène en plein air qui nous sert de piste d’exercice.
Je profite ensuite d’une pause pour aller voir d’autres joueurs et leur demande s’ils savent où je peux me procurer de la corde pour remplacer celle de mon bâton. Bien sûr, il y la petite boutique de Changdi Lu que j’ai découverte lors de ma première visite à Wuhan (voir le billet La petite boutique de Changdi Lu) mais j’imagine qu’il existe d’autres boutiques comme celle-ci dans cette ville. Comme personne ne semble savoir, l’après-midi je retourne dans ma petite boutique pour faire provision de corde. J’achète même une paire de ciseaux sans trop savoir si le contrôle de sécurité à l’entrée de la gare me laissera passer avec cet « outil » dans mon sac. De retour à l’hôtel, je remplace la corde usée de mon bâton
Le lendemain lorsque j’arrive au parc, mon coach est déjà là, fidèle au poste. J’ai apporté mon vieux bout de corde et je compte l’utiliser pour lancer la toupie comme j’ai vu d’autres joueurs le faire. Après deux tentatives infructueuses, mon coach me rejoint et me montre comment faire : il commence par faire une boucle à l’extrémité de la corde à l’aide de ce qui ressemble à un nœud de chaise, enroule la corde autour de la toupie et lance l’ensemble à deux mains, en tenant la boucle de la main droite. La méthode me plaît, plus efficace que le fouet et plus simple qu’avec le bâton, en apparence. En apparence seulement car il me faudra quelques tentatives avant de réussir à lancer la toupie correctement.
Jouer à l’envers
Mon coach me propose ensuite un exercice plus «vicieux» ; il lance sa petite toupie à l’envers et me tends son bâton. La toupie tourne dans le sens inverse des aiguilles d’une montre et il faut donc la frapper de gauche à droite et non pas de droite à gauche comme on le fait habituellement. Un geste qui semble simple mais qui n’a rien de naturel et vous met la tête à l’envers comme certaines tournures grammaticales qu’affectionne la langue chinoise (voir le billet John’s bicycle). Je passe ainsi une partie de la matinée à oublier tout ce que j’ai appris depuis un an pour propulser cette maudite toupie à l’envers. Sans grand succès, il faut le dire ; mais je sais que c’est une question de pratique et aussi un excellent exercice pour le cerveau. D’ici quelques semaines j’espère donc faire des progrès dans ce domaine.
Après deux petites heures d’entraînement, je remballe mon matériel et m’apprête à quitter le square lorsqu’un joueur que j’ai questionné la veille vient me voir ; il m’apporte quelques longueurs de corde pour mon bâton. En fait, il y a sans doute une vingtaine de mètres. Je ne sais pas trop comment le remercier ; je lui propose de le payer, ce qu’il refuse énergiquement.
Le jour de mon départ, je lui offrirai ma paire de ciseau. En effet, comme me l’a confirmé un ami de mon coach, ce genre d’ustensiles est strictement interdit dans les trains chinois ; si je me pointe à la gare avec la paire de ciseau dans mon sac, elle sera immédiatement confisquée par les services de sécurité et je perdrai vingt minutes en tentative d’explication et formalités diverses, comme c’est arrivée à mon épouse lors d’un précédent voyage. Elle avait glissé dans son sac un petit couteau à cran d’arrêt qui devait servir à éplucher une pomme ! Bref, pas question de risquer un contretemps comme celui-là, d’autant plus que le jour de mon départ, mon emploi du temps sera minuté puisque j’ai l’intention de venir taper la toupie une petite heure avant de sauter dans un taxi pour rejoindre la gare.